Cultures Un potentiel refroidi
Les températures fraîches et le stress hydrique ralentissent le développement des cultures. Localement, c’est le gel qui a sévi, causant des dommages qui restent à évaluer.
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La dernière décade d’avril a connu de nombreuses gelées tardives, particulièrement fortes pour la saison, qui se sont ajoutées à un stress hydrique significatif. Selon Météo France, des records de températures minimales ont même été battus pour un mois d’avril : – 8,8 °C à Mourmelon (Marne), – 5,4 °C à Beauvais (Oise), ou encore – 4,4 °C à Arras (Pas-de-Calais). Si les conséquences sont encore difficiles à évaluer, des dégâts sont visibles localement, à des degrés divers et sur tous types de cultures. « Nous sommes face à une hétérogénéité de situations rarement rencontrée », avance un responsable agronomique dans l’Aube. Parmi les céréales à paille, les orges d’hiver ont été particulièrement exposées, car touchées à des stades plus avancés que les blés. Des gels d’épis sont ainsi observés du nord au sud de la France, avec des intensités très variables : les dégâts vont de quelques épillets gelés à la destruction de 80 % de la parcelle. « Sur 40 hectares d’orge d’hiver, 30 hectares sont touchés ! » constate Pierre Canteneur, agriculteur en Moselle, où le mercure a passé la barre des -8 °C. Au regard des dégâts, il a pris la décision de ressemer du maïs à la place. Une double peine pour lui qui avait déjà implanté de l’orge à la place du colza cet automne ! Dans l’Allier, certaines parcelles d’orge d’hiver sont touchées à plus de 50 %, après avoir subi plusieurs jours de gel consécutifs jusqu’à -7 °C. Si le nord, l’est et le centre de la France sont particulièrement marqués, quasiment toutes les régions ont subi localement des gelées. « On observe des dégâts dans les fonds de vallée et dans les bordures de champs », note un conseiller dans le Gers, où les températures sont descendues jusqu’à -4 °C.
La situation est moins marquée pour les blés, qui étaient à des stades moins avancés au moment des gelées. Des gels d’épis ont tout de même été observés localement.
Problèmes de fertilité possibles
Au phénomène de gel d’épi peut aussi s’ajouter celui du gel de pollen, qui survient lorsque les températures basses coïncident avec le stade méiose, au cours de la montaison. Une véritable « épée de Damoclès », comme le note un opérateur, car dans ce cas, les dégâts éventuels ne seront observables que tardivement après la formation du grain, et se traduiront par des épillets vides (absence de fécondation).
Les maïs ont également souffert localement des gelées, d’autant que les bonnes conditions de structure et de ressuyage des sols avaient incité les producteurs à sortir les semoirs tôt cette année. Ainsi, 30 % des surfaces de maïs grain étaient semées au 10 avril, contre à peine 5 % à la même date lors des deux campagnes précédentes. Pour les maïs semés autour du 5 avril, les jeunes feuilles étaient déjà sorties et ont pu être grillées par le froid : elles ont bruni, puis sont devenues translucides. « Dans la majorité des cas, l’apex n’a pas été touché et les maïs ont repris. Mais on en voit qui ont du mal à reproduire des feuilles », note un conseiller en Alsace. Il estime à 10 à 15 % les pertes dans les zones les plus humides de cette région. Des ressemis sont déjà en cours au sein de certaines parcelles. « J’ai ressemé 3 ha de maïs dans la zone basse d’une parcelle de 22 ha », témoigne José Godineau, agriculteur en Maine-et-Loire. Pour les semis plus tardifs où la graine était encore en terre, le sol a eu un effet protecteur et la plante n’est pas touchée par le gel. Des ressemis de betterave sont mentionnés localement, comme en Auvergne et en Picardie.
La floraison des colzas perturbée
Les gelées ont également impacté les colzas, sacrifiant quelques étages de siliques. Des accidents de coulures de fleurs, des gels de siliques et des hampes principales tordues sont rapportés. Il est encore trop tôt pour en évaluer les conséquences, mais pour certains colzas, précédemment touchés à l’automne par la sécheresse au moment de l’implantation, le potentiel est, selon Terres Inovia, déjà largement entamé. « Ce tableau noir, marqué par des avortements massifs, s’affiche pour environ 10 à 20 % des parcelles de notre secteur », indique un responsable technique en Normandie. Les 80 % restants se portent bien. Les colzas sont « plutôt jolis », voire « beaux » dans le Centre et en Bretagne, où est soulignée la longue période de floraison (5 semaines). Les températures fraîches n’ont cependant pas été favorables à l’activité des abeilles, ce qui laisse planer un doute quant au nombre de grains par silique formée… Cependant, « si le PMG (poids de mille grains) est là, il n’y aura pas de soucis », rappelle-t-on en Poitou-Charentes, où l’état des colzas est jugé « moyen ». Et de se rassurer en se souvenant des rendements pas si catastrophiques (20 q/ha) de « colza affreux ou qu’on ne voit pas fleurir ».
30 % de déficit de pluies entre juillet et avril
Autre fait marquant cette année : la sécheresse, qui dure depuis l’été dernier. De juillet 2016 à avril 2017, la France n’a reçu que 453 mm de précipitations en moyenne nationale, soit un déficit de 30 % par rapport à la moyenne 1981-2010, indiquait Météo France il y a dix jours.
Les pluies tombées fin avril et la semaine dernière ont été providentielles dans plusieurs zones. En Rhône-Alpes, il était moins une : « Il y a deux semaines, nous étions très inquiets, mais aujourd’hui le risque est derrière nous, indique un responsable de collecte. Les pluies du début du mois (30 à 70 mm) ont permis aux plantes de reprendre leur cycle végétatif, et ont sécurisé les semis de printemps. » À l’inverse, dans l’Ouest, les semis de printemps accusent le coup, surtout dans les terres de groie et dans des terres argileuses non irriguées. « Dans ces terres, j’ai perdu 20 à 30 % de pieds de maïs, estime un polyculteur en Charentes. Il faudrait 10 à 50 mm de pluie pour resserrer les argiles ».
Le maître brin et c’est tout
Dans l’Aube, les céréales prennent des allures surprenantes du fait de la sécheresse. « On voit des couleurs qu’on ne connaissait pas sur les blés : orange, jaune… », décrit un opérateur. Dans les Hauts-de-France, en Poitou-Charentes, Auvergne, Bretagne ou Midi-Pyrénées, d’autres estiment que le potentiel des céréales sera affecté par la sécheresse.
« Dès à présent on ne s’attend pas à une année exceptionnelle », entend-on dans le Centre-Val de Loire, où « le manque d’eau a fait perdre leur avance aux céréales ». Les petites terres sont bien sûr les premières à souffrir, et les symptômes de stress hydriques sont bien visibles. « Il ne reste que les maîtres brins sur nos blés », indique un opérateur dans le Lot-et-Garonne. Même constat en Auvergne et en Bretagne, où la régression des talles, qui pénalisera la densité d’épi au mètre carré (donc les variétés les moins fertiles), est aussi due à une mauvaise valorisation de l’azote.
Ce point est « la grosse inconnue cette année, selon le directeur approvisionnement d’une coopérative. En conséquence, on passe plus fréquemment dans les champs pour doser l’azote des cultures, et ajuster la stratégie au mieux », évoque-t-il. Le manque d’eau a joué des tours à ceux qui avaient misé sur une impasse ou différé le premier apport sur céréales, tranquillisés par des reliquats azotés élevés et par les feux verts des conseillers. Pour un responsable technique, dans le Centre aussi, la mauvaise valorisation ne présage cependant pas nécessairement d’une mauvaise qualité à la fin : il faut être optimiste !
Il estime qu’« un apport d’azote plus important à la fin de la montaison » remettra les céréales dans leur assiette. Dans d’autres zones (Poitou-Charentes), les seconds apports ont pu être faits à temps, juste avant les pluies de la semaine dernière. « La pluie a fait son effet, et on vérifiera d’ici à 15 jours si les cultures sont reparties », indique un opérateur. De manière générale, la prudence quant à l’évaluation des dégâts liés au gel ou à la sécheresse est de mise. À la hauteur de l’appréhension d’une mauvaise campagne.
Ana Cassigneul et Adèle MagnardPour accéder à l'ensembles nos offres :